Astrophotographie solaire

 

L’objectif du projet est d’allier à l’observation directe du Soleil la possibilité de prises de vue photographiques, permettant d’une part lorsque l’observation n’est pas possible en raison des conditions météo de montrer des détails du Soleil, comme la structure des taches, la granulation ou les protubérances dans l’atmosphère solaire, et d’autre part, d’effectuer un suivi temporel de l’activité du Soleil.

En effet le Soleil est une étoile variable qui présente différentes formes d’activités perceptibles à différentes échelles de temps, parmi lesquelles on trouve :

  • des cycles longs de 22 ans (cycle magnétique) et de 10 à 13 ans (cycle de Schwabe) alternant des minima et des maxima d’activité mesurable à l’aide du nombre de taches présentes sur la surface. En 2013 et 2014 se produit le maximum d’activité du cycle de Schwabe
  • une échelle de temps de quelques années à l’intérieur du cycle de 11 ans, relatif à la dérive en latitude du lieu d’apparition des taches
  • des échelles courtes de quelques semaines liées à l’apparition, l’évolution et la disparition des groupes de taches
  • des échelles encore plus courtes de l’ordre de quelques heures pour les protubérances
  • des échelles très courtes, de l’ordre de quelques minutes pour la granulation ou les éruptions (flare)
  • enfin la période de rotation du Soleil sur lui-même en environ 25 jours peut aussi faire l’objet d’observation

Soleil en H-alpha

Ce projet est donc l’occasion de montrer à différents publics (scolaire, grand public) l’aspect évolutif de l’activité solaire, en complément à l’observation visuelle directe, qui elle permet d’appréhender la structure extérieure du Soleil. Les images obtenues sur différentes périodes de temps seront présentées soit sous forme d’affiches disponibles pour des expositions, soit sous forme de diaporamas servant de support pédagogique à une initiation à l’astrophysique solaire et stellaire qui sera proposée lors du Village des Sciences de Roanne.

Descriptif du projet

L'astrophotographie du Soleil impose des contraintes bien spécifiques qui distinguent cette technique de l'astrophotographie du ciel nocturne. Pour ce faire, nous suivrons la voie ouverte par les pionniers comme Jean Dragesco (réf. [1]) en argentique ou plus récemment Christian Viladrich (réf. [3]) en numérique. L'instrumentation en astrophotographie solaire doit donc satisfaire deux exigences, l'une de sécurité et l'autre de qualité des images. Les exigences de qualité d'image sont multiples. La qualité d'un système d'imagerie résulte en effet de la combinaison de trois facteurs:

  • le stigmatisme, où propriété du système optique d’associer à un objet ponctuel (par exemple la totalité de la surface d’une étoile vue à grande distance, ou un point sur la surface du Soleil) un unique point dans l’image
  • le contraste, la capacité à discerner deux zones de l’image présentant de faible différence de brillance
  • la résolution, la capacité à discerner deux points très proches de l’image d’égales brillances.

La sécurité

La première exigence de sécurité consiste à protéger le matériel le long du chemin optique. L'œil n'intervenant jamais directement dans une prise de vue solaire, le niveau de filtrage habituellement requis en visuel, correspondant à réduire le flux solaire d'un facteur 100 000, peut être ici revu à la baisse. En effet, ce facteur 100 000 est obligatoire pour protéger la rétine ainsi que la cornée des effets photo-chimiques dûs au rayonnement ultraviolet (qui interviennent bien avant les effets thermiques). S'agissant de matériel photographique (lentilles, filtres, capteurs, etc), seul l'absence d'échauffement est requis pour le bon fonctionnement du matériel. Dans ce cas, un facteur de filtrage d'environ 6000 est généralement nécessaire, des calculs plus précis tenant compte du rapport focal de l'instrument, de la densité optique des différents filtres, de la sensibilité (rendement quantique) et de la capacité à saturation du capteur électronique (réf. [4]), devant être effectués en cas par cas pour adapter la densité optique totale de la chaîne de filtrage de sorte à limiter la montée en température de l'instrument.

Le stigmatisme

L’observation solaire se faisant à l’aide de lunettes (hélioscopes de Herschel ou PST), l’objectif de la lunette est entaché d’aberration chromatique due à la dispersion de la lumière par le verre optique. Le stigmatisme (ou tout au moins le stigmatisme axial) est obtenu naturellement avec les instruments H-alpha comme le PST, puisque la prise de vue s’effectuant sur une bande passante très étroite, de l’ordre de moins de 0,1 nm autour de la raie d’absorption H-alpha, l’aberration chromatique est sans conséquence. En revanche, celle-ci limite le stigmatisme lors de prises de vue en lumière blanche (cas de l’hélioscope de Herschel). En effet, et contrairement à l’émulsion photographique, les capteurs numériques sont sensibles à une large plage de longueurs d’onde allant du violet (300 nm) au proche infra-rouge (1000 nm). Bien que l’objectif soit dit achromatique, l’aberration chromatique n’est généralement corrigée que pour deux longueurs d’onde dans le visible, typiquement sur la raie H-beta à 486,1 nm et la raie H-alpha. Un doublet achromatique possède donc un foyer secondaire dans le proche infrarouge qui rend difficile la mise au point, et dégrade la qualité de l’image. Pour remédier à cette absence de stigmatisme axial sur la plage de sensibilité du capteur, au moins deux filtres doivent être combinés : l’un est un filtre bloquant infra-rouge, et l’autre un filtre continuum (ou plus rarement un filtre rouge). La combinaison de ces deux filtres réduit la bande passante utile de l’instrument à une dizaine de nanomètres autour de 540 nm (perçu comme une couleur verte), qui est généralement proche du maximum de sensibilité des capteurs de type CCD. Avec une telle bande passante, l’aberration chromatique résiduelle est inférieure à la tolérance de mise au point de l’instrument, ce qui rétablit les conditions de stigmatisme approché. La conséquence immédiate de cette approche est qu’une caméra dédiée à la prise de vue solaire doit être monochrome. Les boitiers réflex numériques sont donc inappropriés, leurs capteurs étant munis d’une matrice (dite matrice de Bayer) de filtres colorés rouge-vert-bleu qui réduiraient la sensibilité du capteur, étant donné l’utilisation du filtre continuum précité. Un contournement consistant à appliquer lors du traitement informatique une somme pondérée sur les pixels rouge, vert et bleu de l’image serait envisageable, mais réduirait par suite la résolution utile du capteur. C’est pourquoi il est plus judicieux d’utiliser d’entrée de jeu un capteur monochrome à pleine résolution, et sur son maximum de sensibilité.

Le contraste

En imagerie solaire en lumière blanche, les détails de surface comme la structure des taches ou la granulation que l’on souhaite obtenir, sont naturellement assez peu contrastés, de l’ordre de quelques pourcent. Ceci est aussi vrai en H-alpha s’agissant des protubérances par rapport au fond de la chromosphère. Il est donc nécessaire d’adapter la dynamique et le gain d’entrée du convertisseur analogique-numérique (CAN). Compte tenu des contrastes observés, une caméra équipée d’un CAN 12 bit doit être privilégiée par rapport aux modèles 8 bit. Toutefois la partie analogique du capteur produit un bruit d’acquisition (bruit de photon et bruit de lecture) qui oblige dans tous les cas à utiliser le CAN sur son gain d’entrée minimal, ceci se produisant dans tous les domaines de l’astrophotographie, pas seulement solaire (réf. [2]). Sur une acquisition unique, le rapport signal sur bruit de l’image, qui est une mesure du contraste, est donc faible.

Il est possible d’améliorer ce rapport signal sur bruit :

  • d’une part en limitant le bruit de lecture électronique. Celui-ci augmentant avec la température, un dimensionnement approprié de la chaîne de filtrage permet de limiter l’échauffement du capteur, rejoignant en cela l’exigence de sécurité du matériel
  • d’autre part en multipliant les acquisitions puis en les compositant numériquement lors de la phase de traitement. On exploite ce faisant une conséquence du théorème central limite en statistiques qui affirme que le rapport signal sur bruit d’une mesure entachée d’un bruit aléatoire augmente avec la racine carrée du nombre d’échantillons.

La technique de compositage numérique impose donc de disposer d’un grand nombre d’acquisitions, typiquement de l’ordre de 1000. La granulation solaire étant un phénomène rapide, avec des temps de l’ordre de 5 à 10 minutes, il est nécessaire de limiter le temps de pose à quelques minutes (idéalement une minute), tout en accumulant un maximum d’acquisitions. Ceci est réalisable avec une caméra relativement rapide, pouvant soutenir des débits d’image d’au moins 20 à 30 images par seconde.

La résolution

La résolution d’un astrographe résulte de la résolution permise par les différents éléments de la chaîne d’instrumentation. En supposant dans un premier temps la résolution limitée par la diffraction, il convient d’adapter la résolution numérique du capteur à celle de l’objectif. Les détails de la granulation étant de l’ordre de 1000 km, on recherche donc un pouvoir séparateur de l’ordre de 1000 km/149,6×106 km (distance terre-soleil) = 1,4 seconde d’arc. La granulation pouvant s’observer en lumière blanche à l’hélioscope de Herschel monté sur une lunette achromatique, la limite de résolution (limite de Rayleigh) pour un diamètre d’objectif de 150 mm est d’environ 1 seconde d’arc. Toujours avec la même lunette ouverte à f/8, soit 1200 mm de focale, la condition d’échantillonnage de Shannon-Nyquist impose d’avoir au minimum deux points de l’image dans la tache de diffraction, ce qui impose une distance entre les photosites du capteur d’au plus 5,3 µm.

Cette contrainte sur la résolution numérique du capteur n’est toutefois valable que si la résolution de l’instrument est limitée par la diffraction. En pratique, la turbulence atmosphérique limite plus sévèrement la résolution, et ce d’autant plus que la turbulence atmosphérique est plus importante en journée que de nuit. L’effet de la turbulence sur la résolution effective se mesure à l’aide du paramètre de Fried (réf. [3]) qui définit le diamètre équivalent moyen d’un instrument pouvant atteindre sa limite de diffraction, compte tenu de l’effet de la turbulence. C’est la moyenne spatiale et temporelle de la taille des cellules de convection atmosphériques sur l’axe de visée du télescope. Le paramètre de Fried passe ainsi de 400 mm la nuit à 40 mm de jour. Cette valeur de 40 mm est une valeur moyenne, le pouvoir séparateur pouvant varier énormément en quelques minutes ou secondes. Ceci signifie qu’un objectif de 150 mm de diamètre ne peut être exploité à pleine résolution que pendant une fraction du temps de prise de vue.

Il est possible d’améliorer la résolution des images, d’une part en observant le Soleil en début ou en fin de journée lorsque la turbulence est moins importante, et d’autre part en utilisant la technique de prise de vue dite lucky imaging (réf. [2]), rendue possible par les capteurs numériques qui autorisent un grand nombre d’acquisitions en continu (qui est par ailleurs recherché pour l’amélioration du rapport signal sur bruit par compositage numérique). Il s’agit d’acquérir un grand nombre d’images, puis lors de la phase de traitement, de ne retenir que celles pour lesquelles le pouvoir séparateur a atteint la limite requise d’environ 1 à 1,4 seconde d’arc précédemment décrite. La turbulence atmosphérique variant beaucoup et très rapidement, on maximise ainsi les chances d’acquérir des images à haute résolution, seulement limitées par la diffraction instrumentale et la résolution numérique du capteur. Pour ce faire, il convient toutefois d’effectuer des acquisitions pendant un temps d’exposition très court, de sorte à figer l’effet de la turbulence. La caméra doit donc être capable d’effectuer des temps de pose de l’ordre de 1/10000 s, soit 0,1 ms. La densité optique de la chaîne de filtrage doit là aussi être dimensionnée pour exploiter exactement la dynamique du capteur, sans saturation, à ces durées d’exposition très brèves.

Au final, la prise de vue solaire impose donc un ensemble d’exigences techniques sur la chaîne d’instrumentation, concernant à la fois l’optique de l’objectif, le récepteur et les éléments de filtrage. Le club Jupiter s’étant doté ces dernière années d’instruments pour l’observation visuelle du Soleil en lumière blanche (hélioscope de Herschel sur lunette achromatique 150 mm ouverte à f/8), et en lumière H-alpha (PST 40 mm ouvert à f/10), le projet consiste à se doter de la dernière partie de la chaîne instrumentale, à savoir une caméra répondant aux exigences de sécurité et de qualité d’image précédemment évoquées.

Ce projet est aussi l'occasion de montrer la mise en œuvre sur un exemple d’une chaîne d'instrumentation scientifique  :

  • installation, mise en station, et réglages optiques et électroniques (choix de la focale, mise au point, sensibilité, vitesse d'acquisition) des instruments
  • mesure et acquisition des données et des signaux bruts (vidéo)
  • procédure de calibration de l'instrument (plages de lumière uniforme PLU ou «  flat  »)
  • prétraitement des signaux à l'aide de la calibration (application des PLU)
  • traitement informatique principal par registration et compositage numérique
  • post-traitement (filtrage passe-haut et colorisation)
  • interprétation et présentation des résultats

Références bibliographiques

[1] Jean Dragesco, High Resolution Astrophotography, Cambridge University Press, 1995.

[2] Thierry Legault, Astrophotographie, 2de éd., Eyrolles, 2013.

[3] Christian Viladrich, Turbulence et Seeing, Ecole d’été AIP 2013 de St Michel Observatoire, http://www.astrosurf.com/viladrich/astro/instrument/Turbulence-octo2012.pdf

[4] IVPV Handbook of Optics, chap. 22, Visible Array Detectors, http://photonics.intec.ugent.be/education/IVPV/res_handbook/


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